Née un 15 novembre: Jennifer Charles, voix boudeuse et envoûtante de Elysian Fields

Jennifer Charles à Washington, D.C. en 1968. Son père qui était animateur radio opte pour ce patronyme plus passe-partout quand elle était encore enfant

Issue d’une famille d’immigrants russes, avec un soupçon de sang irlandais, la famille de Jennifer possède donc de nombreuses racines. Alors que sa mère était programmatrice sur une radio de musique classique, son père présentait lui une émission nocturne de jazz sur une autre station. Inutile de préciser donc que, chez chacun de ses parents rapidement séparés, la musique (toutes les musiques devrait-on dire) étaient présentes à tout moment de la journée.  Très tôt également, malgré une timidité presque maladive qui a laissé des traces jusqu’à nos jours, elle suit des cours de danse (notamment de flamenco) et monte même sur les planches pour quelques petits rôles d’enfant. Sa mère l’amène aussi régulièrement voir des concerts du National Symphony Orchestra et dans des clubs de jazz comme le Blues Alley. A moins de posséder une mémoire infaillible ou de sérieux talents d'archiviste, elle a sans doute oublié certains des artistes qu’elle a vu à New York, à Londres ou dans sa ville natale. Mais pas The Lounge Lizards (le groupe de John Lurie), Diamanda Galas ou Blondie…

S! elle possède un graduat en théâtre obtenu trois ans après son installation à New York en 1987, c’est finalement la musique qui emporte ses suffrages après sa rencontre avec le guitariste Oren Bloedow au milieu des années 90. En semble, ils fondent The Elysian Fields et, à ce jour, ont enregistré une petite vingtaine d’albums tous semblables et en même temps tous différents. Le groupe a, de fait, développé un style unique qui envoûte littéralement des auditeurs qui deviennent rapidement des fans inconditionnels. A défaut d’une meilleure description, leur musique, souvent qualifiée de « noir-rock » (une étiquette qui semble n’avoir été inventée que pour eux) ou, plus prosaïquement de dream-pop teintée de jazz et d’avant-garde. Leur originalité repose largement sur la voix contralto, sensuelle et parfois très théâtrale de Jennifer Charles. Elle considère d’ailleurs la voix comme un instrument émotionnel forcément fragile : "Pour créer et composer, il faut savoir se rendre vulnérable" aime-t-elle à répéter. "Il faut aussi saisi voire même provoquer des rencontres sortit parfois des sentiers battus". Après le sublime "Bleed Your Cedar" (1996), leur travail pour "Queen Of The Meadow" (2000) avec le producteur Steve Albini; pourtant habitué à des productions plus rageuses, n’a pas eu l’heur de plaire à leur label Universal malgré sa beauté déchirante. Jennifer et Owen prendront leur mal en patience avant de pouvoir le présenter au public sans le dénaturer le moins du monde. Car, à leurs yeux, l'intégrité artistique s'avère primord!ale. Des années plus tard, le récent "What The Thunder Said" (2024) revendique d'ailleurs la même intransigeance poétique.

Au fil des années, parallèlement à son groupe, Jennifer a également apporté son timbre de voix si particulier en enregistrant un hommage aux chansons de Marc Bolan (2020) ou à celles de Connie Converse (2018), en participant à un album de Bebel Gilberto ou en acceptant l'invitation de Jean-Louis Murat (qui deviendra vite un complice et un ami) d'abord pour "Mustango" (1999) puis pour "A Bird On A Poire" (2004), un duo baigné de second degré. Comme les cailloux semés par le Petit Poucet, on retrouve la voix de Jennifer, sa plume aussi de temps à autre,  sur d’innombrables projets parfois totalement inattendus comme sur "Great Jewish Music" en 1998 ou même avec des DJ’s !

Même au plus transi de ses admirateurs, Jennifer Charles ne dévoile toutes ses facettes que parcimonieusement. Et réussit toujours à surprendre…

(Stéphane Soupart - Photo : © Etienne Tordoir)

Photo : JenniferCharles avec The Elysian Fields au Botanique à Bruxelles le 13 octobre 2024