Les frontaliers de tous pays le savent, la ligne qui sépare leur pays de celui du voisin crée parfois des situations ubuesques. La preuve avec la Bibliothèque et Salle d’opéra Haskell empêtrée dans la brouille diplomatique entre Canada et États-Unis.
Habiter près d’une frontière, quand les pays voisins sont "amis", est souvent l’occasion de profiter de ce que l’autre nation a à offrir. Il y a parfois des contrôles douaniers à subir. Mais il y a aussi des zones particulières, notamment les bâtiments ou les rues à cheval sur deux pays. C’est exactement ce qui se passe pour la Bibliothèque et Salle d’opéra Haskell située à la fois à Derby Line dans le Vermont (USA) et à Stanstead (Canada). Une ligne noire matérialise une frontière dont tout le monde se moque dans l’établissement. Du moins, se moquait. Car la géopolitique et un comportement stupide de Kristi Noem, la ministre de la Sécurité intérieure des États-Unis, ont bouleversé les habitudes de cet établissement séculaire et trait d’union entre les peuples.
51e état
Lors de sa visite le 30 janvier 2025, Mme Noem a trouvé intéressant de sauter par-dessus la ligne en criant "USA number 1" côté étasunien et "51st State" côté canadien. Ce qui a profondément choqué les membres du personnel présent. Depuis, la situation s’est encore compliquée. En effet, la garde frontalière américaine a imposé un nouveau règlement, unilatéralement. Depuis, "tous les usagers canadiens doivent présenter leur carte de bibliothèque pour traverser aux États-Unis et entrer dans la bibliothèque". Auparavant, les Canadiens et les touristes traversaient simplement la rue pour accéder au trottoir étasunien pour entrer dans le bâtiment. Ce n’est plus possible.
Porte dérobée
Pour permettre aux visiteurs venant du Canada de rentrer dans cette bibliothèque et son opéra ouverts depuis 1904, il faut le faire par la porte de derrière. Cette entrée va être réaménagée, transformant l’immeuble à tourelle. De plus, il est obligatoire de sortir par la même porte. Pareil pour ceux qui viendraient des USA, ils ne devront utiliser que la porte du côté des États-Unis. Une situation en totale contradiction avec les valeurs de la fondatrice, Martha Stewart Haskell et de son fils Horace. Ils voulaient un lieu de rencontres et de solidarité entre les peuples, anglophones et francophones. Un symbole d’unité et d’amitié balayé par un gouvernement américain xénophobe. D’autant que les "réunions transfrontalières" sont interdites. En outre, "la patrouille frontalière des États-Unis et la Gendarmerie royale du Canada ont le droit de demander les pièces d’identité personnelles et de détenir toute personne dont le statut n’est pas légal."
Révoltés
Lors du dernier jour d’ouverture avant l’application des nouvelles règles, de nombreux utilisateurs et sympathisants se sont rassemblés pour soutenir le projet. Il y avait parfois des larmes, tant de la part de Canadiens que d’habitants des États-Unis. Surtout que cette bibliothèque et cet opéra sont une fierté des deux villes frontalières. Mais l’administration ne fait jamais dans la dentelle quand il s’agit de broyer de belles habitudes dès qu'elles sont considérées non conformes. Comme l’écrit l’institution sur son site, cette décision "menace l’esprit de collaboration qui a façonné cette institution depuis des générations. Nous refusons de laisser une frontière diviser ce que l’histoire a construit ensemble. […] Au-delà des pertes culturelles et historiques, cette fermeture [de l’accès principal] forcée impose des modifications d’infrastructure coûteuses et inutiles pour se conformer aux nouvelles restrictions frontalières, créant un fardeau excessif pour la bibliothèque et la communauté qu’elle dessert."
(Olivier Duquesne – Sources : TV5 Monde, Huffington Post et Le Nouvelliste – Picture : © picture alliance / NurPhoto | Artur Widak)
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