

Ce touche-à-tout de génie a toujours défier les étiquettes avec une jouissive gourmandise. John Lurie a vu le jour à Minneapolis (comme Prince) en 1952
Longtemps connu, reconnu et même adulé par certains comme un musicien iconoclaste (avec THE LOUNGE LIZARDS ET UNE POIGNéE D’AUTRES PROJETS AVENTUREYX)et un acteur atypique du cinéma américain indépendant (surtout aux côtés de Jim Jarmusch notamment pour Down By Law), John Lurie a fini par construire, presque malgré lui, une troisième vie artistique : celle d’un peintre dont l’œuvre, faussement naïve, dévoile un humour mélancolique et une lucidité crue sur le monde. On le compare parfois à Jean-Michel Basquiat ou à Don Van Vliet, l’âme maudite de Captain Beefheart, lui aussi féru de peintures brutes non dénuées d’humour.
Propulsé sur la scène new-yorkaise de la fin des années 1970, John Lurie se démarque de l’air du temps avec les Lounge Lizards. Avec son jazz souvent dépouillé, ciselé au cordeau et terriblement nerveux, il séduit autant une certain intelligentsia intello que des artistes comme Patti Smith ou David Byrne. Avec ses « lézards décontractés », il n’enregistrera que quatre albums entre 1981 et 1998 dont les monuments que restent leur premier essai épnonyme (1981) et No Pain For Cakes (1986). Avec sa silhouette de grand échelât dégingandé, il devient une figure récurrente de nombreux films films signés Jim Jarmusch comme Stranger Than Paradise ou Mystic Train. Il profite de son passage sur grand écran pour écrire une une bonne vingtaine de bandes originales. En 1995, celle de Get Shorty lui vaut même une nomination aux Grammy Awards. Il se métamorphose aussi en acteur pour Paris, Texas de Wim Wenders, Wild At Heart de David Lynch ou The Last Temptation Of Christ de Martin Scorsese. Il dirige aussi deux séries pour HBO qui mettent en scène deux de ses autres passions ; Fishing With John (1991) et plus récemment Painting With John avec toujours un certains sens du second degré et aussi, pour sa première série du moins, une kyrielle d’invités prestigieux comme Tom Waits, Willem Dafoe, Dennis Hopper, Matt Dillon et bien entendu son comparse de toujours Jim Jarmusch.
Souffrant de troubles neurologiques graves depuis le milieu des années 1990, sans doute liés à une forme grave de la maladie de Lyme, Lurie a été tenu éloigné des plateaux de cinéma et contraint d’arrêter la musique. A un moment, les médecins lui ont même annoncé qu’il ne lui restait sans doute pas plus d’un an à vivre. Leur pronostic s’est heureusement avéré incorrect. Contraint de s’inventer une nouvelle vie plus casanière, John Lurie a ainsi commencé à s’exprimer avec peinture et pinceaux. D’abord pour simplement tromper l’ennui, cette nouvelle activité devient un véritable échappatoire puis un mode d’expression à part entière. Au-delà de leur simplicité apparente (phrases sibyllines, couleurs brutes, animaux stylisés), ses peintures explorent sa solitude tout autant que sa résilience inextinguible. Sans jamais oublier cette dérision naturelle présente dans tous les aspects de sa vie. « Je ne me suis pas réveillé un matin en disant : je veux être peintre », confie-t-il « C’est plutôt que la peinture est restée quand tout le reste a dû s’arrêter. Et elle m’a parlé alors que la musique ne pouvait plus. »
À l’image de son saxophone autrefois reconnaissable entre mille, son coup de pinceau presque enfantin est lui aussi immédiatement identifiable. « J’ai réalisé que si je ne riais pas de certaines choses, elles allaient finir par m’écraser. Alors je les peins, je les tourne en ridicule, je les mets dans des couleurs idiotes. Une fois sur la toile, elles perdent un peu de leur pouvoir». Une belle leçon d’espoir… Grâce à la série Painting With John, il a même composé à nouveau quelques courtes pièces instrumentales, ses premières depuis une vingtaine d’années, ravivant mêmepour l’occasion le personnage frictionnel de Marvin Pontiac qui mériterait lui aussi sa biographie propre.
(Stéphane Massart - Photo : © Etienne Tordoir)
Photo : John Lurie avec The Lounge Lizards au festival Mallemunt de Bruxelles le 21 juillet 1986






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